vendredi 21 novembre 2008

La Motivation des Militaires, une Condition Essentielle pour la Restauration et la Sauvegarde de la Paix en RDC ?

Par Dr. Yav Katshung Joseph∗

I. Position du problème

Après des longues années d’instabilités et d’insécurités, la population de République Démocratique du Congo (RDC) était en droit de croire en une nouvelle ère, après les élections au niveau national et provincial et l’installation des institutions et autorités issues des urnes. C’était sans compter avec les velléités de certains acteurs politico-militaires du pays et/ou d’ailleurs. La RDC est à nouveau dans la saga de la guerre dans sa partie Est, qualifiée - à tort ou à raison- par certains comme le poumon de l’insécurité congolaise. Voilà plusieurs semaines que le conflit a repris entre la rébellion congolaise du général déchu Laurent Nkundabatware , et les forces gouvernementales. L'avance des troupes rebelles en direction de Goma, le chef lieu du Nord-Kivu, a provoqué l'exode de plusieurs dizaines de milliers de civils, entraînant semble-t-il, la déroute de l'armée congolaise présente sur place. Il a même été rapporté des cas de pillages et exactions. Quant à la MONUC, elle présente une neutralité à « géométrie variable » qui pousserait tout observateur à se poser si elle (la MONUC) est réellement une « Mission » ou une « Omission » des Nations Unies en RDC ? Retranchés dans leurs campements depuis des mois, les casques bleus ont laissé la population congolaise se débrouiller, prise au piège entre la violence des bandes armées gouvernementales et celle des bandes rebelles de Nkundabatware. Elle n'est intervenue, les 28 et 29 octobre dernier, que pour empêcher l'entrée des rebelles dans Goma.

Fort de ce qui précède, il était impérieux de réorganiser les choses dans le camp gouvernemental et dans cette quête, le Président Joseph Kabila vient de nommer en date du 17 novembre 2008, un nouveau chef d'état-major à la tête des armées. Il s’agit du Général Didier Etumba Longomba - qui a servi dans les ex-Forces armées zaïroises (FAZ), et originaire de la province de l'Equateur (nord-ouest) et dirigeait avant cette fonction, la force navale en remplacement du Général Dieudonné Kayembe. Cette nomination tombe à point nommé car l’armée avait besoin du tonus et/ou d’un autre souffle, après une nouvelle avancée de la rébellion dans la partie Est de la République. Mais est-elle suffisante pour faire face aux problèmes que pose les forces armées congolaises ? Reconnaissons que les forces régulières font faces aux multiples problèmes qui du reste, ne datent pas d’aujourd’hui – l’indiscipline, la démotivation, le manque de formation adéquate, les divisions internes, etc.-.
Le présent article jette un regard critique sur les corrélations possibles entre les conditions sociales des militaires et l’efficacité de l’armée. Il entend mettre l’accent sur le rôle que doit jouer l’armée congolaise appelée à devenir républicaine mais aussi sur la responsabilité de tout congolais afin que l’armée ne soit pas que de nom mais aussi de taille et de pointe dans sa mission de protéger nos frontières, les personnes et leurs biens.


II. Le rôle universel d’une armée et la situation en RDC

Il est universellement reconnu que les forces armées sont créées pour protéger la société; elles ont pour fonction de servir et de défendre la population dont elles sont issues. Cependant, pour mener à bien leur tâche, elles doivent occuper une position spéciale au sein de nos sociétés, surtout parce qu'elles sont les principaux détenteurs d'armes. Par ailleurs, dans n'importe quel pays, les militaires constituent un groupe très organisé et très discipliné, soudé par des traditions, des coutumes et des habitudes de travail, mais surtout par la nécessité d'agir ensemble et de pouvoir compter les uns sur les autres en temps de crise et de conflit - une dépendance qui peut littéralement être une question de vie ou de mort. Cette dépendance crée des liens et des loyautés solides et demande un niveau de cohésion dont peu d'autres professions peuvent se prévaloir. Ce sont ces qualités - la discipline, le dévouement et la loyauté - qui confèrent à la profession militaire son caractère particulier et qui, à certains égards, la distinguent du reste de la société.

Pouvons-nous sans froid aux yeux affirmer que l’armée congolaise remplit-elle ces qualités ? La balance pencherait vers le non. En effet, les accusations contre l'armée régulière ne sont pas nouvelles. En 2007, la MONUC estimait que 40% des violations des droits de l'Homme en RDC étaient le fait des Forces armées de la RDC (FARDC). Pour sa part, l’organisation Human Rights Watch (HRW) note que « …Mal entraînés, peu disciplinés, fréquemment non rétribués et manquant de l'essentiel, les soldats du gouvernement commettent de nombreux crimes au cours de pillages… ». Bien plus, Amnesty international renchérit que l’armée régulière commet des exécutions sommaires, arrestations arbitraires, violences sexuelles et pillages... La liste est longue, en particulier dans le Nord-Kivu en guerre. Il sied donc de s’arrêter un seul instant et réfléchir sur le pourquoi de cette situation au sein de nos forces armées ? Quelle thérapeutique administrer pour sortir de cette impasse et rétablir l’intégrité territoriale et la paix durable ? Ces questions sont nécessaires car il est proverbialement reconnu que quiconque veut aller loin, ménage sa monture ! Bien plus, qui veut la paix, prépare la guerre!


III. La question d’amélioration des conditions sociales des militaires congolais et son influence sur leur motivation et rendement.

Les échos en provenance du front à l’Est de la RDC corroborent le fait que l'armée congolaise est dans une situation très difficile. Elle n'est pas encore consolidée, avec une mauvaise gestion de fonds... On rapporte aussi que la corruption y est endémique. Sur le front, les fonds destinés au ravitaillement se volatilisent souvent avant d'arriver jusqu'à la troupe, encourageant immanquablement les soldats à la rapine ou aux pillages.

Ce cliché macabre est malheureusement la réalité dans plusieurs coins et recoins de la RDC. Il est donc temps de changer des fusils d’épaule et mettre les hommes et femmes de troupe dans des conditions ne fut-ce que minimales afin qu’ils assument leur mission. Oui, ventre affamé n’a point d’oreille, n’est-ce pas ?

La solde est un élément majeur de la condition du militaire. D’une certaine manière, elle reflète le prix qu’une nation accorde, en fonction de ses moyens, à ceux qui veulent la servir si besoin jusqu’au sacrifice du sang. Cependant, la situation des forces armées de la RDC n’est pas vraiment enviable et doit nous interpeller tous. En effet, déjà du temps du feu Président MOBUTU, le ton avait été lancé par le feu Général MAHELE , le 29 mai 1992 du haut de la tribune de la Conférence Nationale Souveraine, en s’exclamant en ces termes : “Vous venez de vous rendre compte de l'ensemble des conditions difficiles dans lesquelles évoluent le soldat congolais et sa famille. Ce constat est sombre à la suite de l'indifférence des Pouvoirs publics vis-à-vis de l'Armée. À ce sujet, des milliers d'hommes et de femmes, et surtout d'enfants, vous regardent fixement et vous interpellent pour savoir pourquoi et au nom de quoi le soldat congolais, depuis la Force publique, est privé d'avenir ? Serait-il irrémédiablement condamné à vivre ainsi, à s'éteindre ainsi en éternel quémandeur ?”


À l’époque du feu Président KABILA, nous avions assisté à un engouement effréné des jeunes pour l’armée car le solde était de 100 USD qui constituait une certaine fortune vers les années 1997 et 1998. Des étudiants finalistes n’avaient pas hésité d’arrêter avec les syllabus et avaient rejoint l’armée pour combattre l’ennemi. Peu à peu cette « fortune » s’est effritée au fur du temps jusqu'à ce qu’à ce jour, rares sont ceux qui touchent ne fut-ce que son équivalent - qui a dans l’entre-temps perdue sa valeur-.

Aujourd’hui, les militaires congolais ne disposent pas d’une véritable solde. Ils ne reçoivent qu’une «ration» dont le montant est fixé par un taux barémique provisoire. Ce taux bien que réévalué en janvier 2006, reste relativement faible. Un soldat touche l’équivalent de 25 USD par mois, un adjudant-chef 34 USD, quant au colonel, il reçoit l’équivalent de 50 USD. Les soldats des brigades « intégrées » touchent généralement leur solde mensuelle - 65 dollars - grâce au contrôle exercé par l'EUSEC.
Notons qu’outre la modicité de paiement mensuel des militaires, se pose le problème de sa régularité. Enfin, s’agissant de l’alimentation, les unités reçoivent mensuellement un fonds de ménage calculé sur la base de l’équivalent de 8 USD par homme et par mois, ce qui permet tout juste de fournir un repas quotidien pendant 10 à 15 jours.

Tout compte fait, l’on peut comprendre pourquoi le nombre d’exactions commises par les hommes en armes sur la population civile croit. Bien qu’il faille condamner ces actes et agissements, il est cependant nécessaire et urgent de mettre les hommes et femmes en armes à l’abri de sollicitudes. Cela est d’autant vrai car, tout soldat sait qu'il peut mourir au combat. Chose curieuse, son contrat avec la nation stipule qu'il défend le pays et que réciproquement le pays lui donne les moyens de se défendre. Ce qui semble ne pas être le cas en RDC et d’aucuns de se demander pourquoi mourir pour un pays qui ne semble pas se soucier de vous? Telle semble être la question à laquelle répondent les soldats congolais qui refusent de combattre ou qui désertent. Ils sont en un mot « démotivés ». Que faire?

IV. Notre responsabilité à tous

Face à cette démotivation des hommes et des femmes qui constituent les forces armées de la RDC, il est de notre responsabilité à tous de mettre la main à la patte afin de redorer le blason des vaillants militaires ainsi que de notre pays qui sont tristement à la une dans certains medias et milieux politico-diplomatiques. Il est curieux voire écœurant de constater qu’alors que les parlementaires et les ministres – au niveau national et provincial- pour ne citer qu’eux, se régalent et palpent des milliers des billets verts (dollars) ou des millions des francs congolais, les hommes et femmes en uniforme croupissent dans le noir avec une solde de misère comme indiquée supra. Cela fait que tout individu placé dans des conditions similaires, ne peut qu’être démotivé et se résigner de mourir pour la patrie qui l’a presque oubliée en ne le mettant pas à l’abri des sollicitudes. Pouvons-nous comprendre un seul instant que les députés nationaux et provinciaux roulent carrosse et bénéficient des avantages que d’aucuns qualifient d’immérités sous prétexte qu’ils doivent être à l’abri des sollicitations , mais que l’on ne garantisse pas des conditions minimales à ceux qui sont censés protéger les parlementaires, les gouvernants, la population et leurs biens.

Loin de nous l’idée de jeter des pierres aux députés- surtout ceux provinciaux- qualifiés par certains de « silence radio » , relevons tout simplement que les parlementaires peuvent faire que l’armée soit dotée des moyens suffisants et contrôler que les militaires soient régulièrement et adéquatement payés et/ou que leur argent ne soit pas détourné comme c’est presque devenu la norme en RDC. Les parlementaires sont donc en principe en mesure d'exercer leur contrôle sur l'armée. L'affaire n'est ni tabou ni relevant du secret-défense. En démocratie, le Parlement veille au fonctionnement de l'armée à travers « la définition des lois et règlements relatifs aux militaires », en votant son budget ou encore à travers la conformité de l'armée « avec la politique de sécurité nationale ». En commission parlementaire, les parlementaires doivent en principe recevoir tous les rapports détaillés sur les réformes envisagées ou entreprises dans les rangs de l'armée et peuvent organiser des auditions pour en savoir plus. Il est donc temps que nos parlementaires jouent leur rôle.
Bien plus, nous suggérons que durant cette période de guerre, que les « gagne beaucoup » contribuent à l’amélioration de la solde des militaires en acceptant de se débarrasser temporairement d’au moins 100 USD par mois et il en restera des milliers des dollars pour leur villégiature, extravagance, etc. Les « gagne petit » ne resteront pas non plus bras croisés car ils devront aussi contribuer. C’est ici le lieu de faire recours utile à la fameuse philosophie ou doctrine de « un (1) zaïre pour un grand Zaïre » de l’époque du MPR, Parti-Etat. Si chaque citoyen peut contribuer avec au moins un Franc Congolais (FC)-pourquoi pas 1000 FC- nous ferons un grand Congo. Ainsi, nous aurons par cette contribution à l’effort de guerre pour réarmer moralement, socialement et économiquement nos militaires. Mais, tout cela doit être fait dans la transparence pour éviter les cas d’abus et détournements pouvant entraîner des enrichissements sans cause et pousser certains, à la démotivation décriée.

Au gouvernement, nous réitérons les vœux du Professeur MWAYILA TSHIYEMBE qui souligne que “…le gouvernement de la République n'a besoin ni de tribaliser l'armée ni de la financer sur la possibilité de la créer. Parce que, sans armée, il n'y a pas d'Etat. L'armée est le bras de l'Etat pour agir en cas de coup dur, c'est-à-dire assurer la sécurité des personnes et de leurs biens, assurer les libertés individuelles et assurer la survie des institutions. Quand elle est républicaine, l'armée, au-delà de protéger les personnes et leurs biens, d'assurer l'intégrité du territoire, a aussi la vocation de garantir les institutions républicaines et de défendre les valeurs de liberté. C'est pour cela qu'elle est républicaine. C'est dire que les autorités du pays ont l'obligation, sinon le devoir, de faire en sorte que le Congo retrouve ce qu'il a perdu de l'étoffe d'un pays référant en Afrique centrale, dans la région des Grands Lacs et dans le golfe de Guinée. Avoir une armée républicaine est la condition sine qua non de cette présence, de cette visibilité du Congo…”

Que dire de plus ? Sauf rappeler qu’afin de réussir les cinq chantiers de la République -certains diront même « cinq plus »-, en y ajoutant entre autres la paix et la sécurité humaine, il sied d’investir dans la femme et l’homme congolais, les acteurs de développement durable. S’ils ne sont pas embarqués dans le bateau de la reconstruction et du développement, il n’y aura point de salut ! Prenons donc conscience de mettre l’HOMME au centre de tout projet afin qu’il vive en toute dignité et en toute liberté : Voilà le chantier des chantiers. Mieux, le premier grand chantier ....

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∗ Maître YAV KATSHUNG JOSEPH est Docteur en Droit de l’Université de Lubumbashi (UNILU), Master en Droits de l’Homme et Démocratisation en Afrique de l’Université de Pretoria en Afrique du Sud, Diplômé en Justice Transitionnelle (Cape Town), Diplômé d’Etudes Supérieures (D.E.S) en Droit de l’UNILU et Licencié en Droit de l’UNILU. 
 À son actif, il a également plusieurs articles scientifiques et avis en français et anglais. 
Il est Professeur Associe à la Faculté de Droit de l’Université de Lubumbashi en RDC et Avocat au Barreau de Lubumbashi. Il est en outre Chercheur et Consultant international auprès de plusieurs institutions et organisations internationales, régionales et nationales. Il coordonne la Chaire UNESCO des Droits de l’Homme /Antenne de l’Université de Lubumbashi et dirige le CERDH (Centre d’Etudes et de Recherche en Droits de l’Homme, Démocratie et Justice Transitionnelle). Email : info@joseyav.com Fax : +1 501 638 4935 Phone : +243 81 761 3662 Website : www.joseyav.com

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