mercredi 23 septembre 2009

« ON VA VOUS ECRASER » : La Chasse aux Défenseurs des Droits Humains au Congo?

Par: Prof. YAV KATSHUNG JOSEPH




I. LIMINAIRES


L’opinion se souviendra que l’organisation non gouvernementale de défense des droits humains Human Rights Watch (HRW) avait au mois de novembre 2008 publié un Rapport de 96 pages intitulé « On va vous écraser » et sous-titré « La restriction de l’espace politique en République Démocratique du Congo ».

Il ressort dudit rapport qu’au cours des années 2006, 2007 et 2008, le Pouvoir issu des élections en République Démocratique du Congo (RDC) a délibérément violé les droits humains ou libertés fondamentales au point de tuer ou exécuter des opposants et d’en incarcérer.[1] Le lendemain, les réactions sont allées dans tous les sens, surtout du côté de la coalition gouvernementale.

En effet, le 1er décembre 2008, le Président de la République avait reçu les bureaux de l’Assemblée Nationale et du Sénat. Au sortir de l’audience, le président de l’Assemblée Nationale de l’époque –Vital Kamerhe- avait reconnu avoir reçu le rapport et entrevoyait la possibilité d’une mission d’enquête parlementaire.
Quant au porte-parole du Gouvernement, le Ministre Lambert Mende, il avait qualifié ces « accusations d'exagérées et de sans fondement ». Tout en affirmant néanmoins que la justice congolaise était prête à condamner les auteurs de ce genre d'acte si des preuves étaient établies. Une année après, peut-on connaître la suite réservée à ce rapport ? La situation a -t –elle évolué dans l’entre-temps ?

La situation des défenseurs des droits humains et des journalistes semble indiquer que le pire n’est pas encore derrière nous. Les informations et nouvelles les plus récentes viennent malheureusement confirmer chaque jour, le diagnostic donné dans le rapport de Human Rights Watch. D’où l’intitulé de cette réflexion -interpellation « On va vous écraser » : La chasse aux défenseurs des droits humains au Congo ? pour fustiger et dénoncer un certain comportement dans le chef de certains animateurs et acteurs directs et/ou indirects des institutions et services de l’Etat qui agissent en marge des règles de l’Etat de droit, pierre angulaire de la démocratie.

II. LES DEFENSEURS DES DROITS HUMAINS : UTILES MAIS EN DANGER


Les défenseurs des droits humains, ou militants des droits humains, sont des personnes qui, agissent de multiples façons et à différents titres pour protéger et promouvoir les droits humains.

 Ils s’efforcent de réduire le fossé entre, d’un côté, la justice et l’égalité promises dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et, de l’autre, la réalité des violations des droits humains telle qu’elle est vécue aujourd’hui.

C’est en effet le 9 décembre 1998 que les États membres de l’ONU ont reconnu comme tels le droit de défendre les droits humains et, par extension, le devoir qui leur incombe de protéger les défenseurs de ces droits et de rendre possible leur action.
Ainsi, l’expression défenseur des droits humains est de plus en plus utilisée.[2] Tout individu peut être un défenseur des droits humains, quel que soit le métier qu’il exerce: les défenseurs des droits humains se définissent avant tout par leur action, et non par leur activité professionnelle.[3]

À l’heure où le monde se prépare à célébrer le 11e anniversaire de la Déclaration des Nations unies sur les défenseurs des droits de l’homme , le 9 décembre 2009, la situation des défenseurs des droits humains en RDC n’est pas rose. En effet, bien que le droit international protège désormais les défenseurs des droits humains, l’action qu’ils mènent leur vaut toute une série de problèmes. Ils sont menacés de mort et torturés; persécutés et poursuivis en justice; réduits au silence par une législation restrictive; victimes de disparition ou de meurtre.

Les militants qui permettent des avancées dans les droits humains sont souvent les plus exposés au danger, à la moquerie et à la résistance. Ils s’attirent les foudres des puissants lorsqu’ils remettent en cause la distribution des ressources économiques et demandent que ceux dont les actions accroissent la pauvreté et les inégalités soient davantage soumis à l’obligation de rendre des comptes.

C’est pourquoi ils ont besoin de nous tous.

Des méthodes usitées pour « écraser » les défenseurs des droits humains


· Des arrestations –détentions arbitraires et « simulacres » de procès


L’on peut dans ce chapitre d’arrestations - détentions et simulacres de procès citer les cas de Golden Misabiko au Katanga et de Robert Ilunga Numbi à Kinshasa. En effet, au Katanga, dans la capitale du cuivre –Lubumbashi-, le 24 juillet 2009, Golden Misabiko, président de l’ASADHO/Katanga avait été arrêté par l’Agence Nationale de Renseignement (ANR/Katanga), à la suite de la publication par son organisation d’un rapport sur l’exploitation artisanale de la mine uranifère de Shinkolobwe dans la province du Katanga, en violation du décret présidentiel nº 04/17 du 27 janvier 2004.[4] Le 25 juillet 2009, il sera transféré du cachot de l'ANR vers le Parquet du TGI de Lubumbashi. Le 20 août 2009, le Tribunal de paix de Lubumbashi/Kamalondo ordonnera la libération de Golden Misabiko sous caution, suite à la demande de mise en liberté provisoire introduite le 19 août par ses avocats, invoquant l'état de santé précaire de Golden Misabiko et contre l'avis du Parquet. À ce jour, l’on attend le verdict car, il est poursuivi pour « propagation de faux bruits de nature à alarmer les populations et exciter celles-ci à se soulever contre les pouvoirs établis ».

Dans la capitale Kinshasa, Robert Ilunga Numbi, le président de l’ ONG «Les Amis Nelson Mandela» fut arrêté le 31 août 2009 et détenu pendant neuf jours par l’Agence Nationale de Renseignement (ANR). Il fut transféré respectivement au Parquet Général de la République, en date du 08 septembre 2009, et au Parquet Général de Kinshasa/Gombe le 09 septembre 2009. Ce dernier l’a mis sous mandat d’arrêt provisoire, pour « propagation de faux bruits et diffamation à la suite de la publication par son ONG d’un rapport dénonçant les conditions de travail déplorables des travailleurs de la société SGI à Kasangulu dans la province du Bas-Congo ». Depuis le 11 septembre 2009, il est détenu au Centre Pénitentiaire et de Rééducation de Kinshasa (CPRK).

· Des SMS et Emails de menaces de mort et d’intimidations


À Bukavu, Kizito Mushizi, Directeur de la Radio Maendeleo lance une alerte en date du 10 septembre 2009 que trois journalistes féminines – Kadi Adzuba et Delphine Namuto de la Radio Okapi et Joly Kamuntu de la Radio Maendeleo – viennent de recevoir une menace de mort anonyme par SMS libellée ainsi (traduction): «Vous avez pris les mauvaises habitudes de vous immiscer dans ce qui ne vous regarde pas pour montrer que vous êtes intouchables, maintenant certains d'entre vous vont mourir pour que vous la boucliez. Nous venons d'avoir l'autorisation de commencer par Kadi; puis Kamuntu puis Namuto: une balle dans la tête».[5]

À Lubumbashi, des animateurs d’ONG font l’objet des menaces de mort très précises consécutives à leur engagement en faveur de la libération de Golden MISABIKO président en exercice de l’Association Africaine de Défense des Droits de l’Homme(ASADHO/Katanga) et l’abandon de toute poursuite contre les défenseurs des droits de l’homme dans l’exercice de leur mission.[6]

En effet, c’est en date du 16 septembre 2009 vers 21 heures que Messieurs Grégoire MULAMBA, Secrétaire Exécutif du CDH, Timothée MBUYA, Vice Président de l’ASADHO/Katanga et Emmanuel UMPULA, Directeur exécutif de l’ACIDH ont reçu chacun les mêmes messages en provenance de même numéro téléphonique (00243 993244757) et dont les contenus sont les suivants :

- « Ton Chef, on l’a déjà déclassé et il reste toi et trois autres ».

- « Vous pensez être plus malin. Saches que ce ne pas fini. On verra quand vous serez tous mort comme certains journalistes si vous ferrez encore des marches ».

- « On connaît où tu habites à Kampemba. Tu es le deuxième sur notre liste »

- « Nous allons nous occuper de toi même si tu as des petits appuis ».

- « Votre chef de file est déjà condamné et vous êtes le suivant ».

Cet épisode me rappelle un email que j’ai reçu, il y a peu en rapport avec le travail du « Contrôle Citoyen »[7] en ces termes : « Monsieur, vous pouvez vous permettre certains excès, croyant que l'UNESCO vous sera un jour d'un grand secours à la Arthur Zahidi Ngoma; rappellez vous toutefois le dicton de chez nous a Lubumbashi: « bahati ya muiko yako si yako »!



III. LES « ECRASER » SERAIT VIOLER LES OBLIGATIONS DE LA RDC AU REGARD DU DROIT INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS HUMAINS


Comme l’on peut le constater à travers ces quelques cas, il est clair que de plus en plus, l’on fait recours à la justice pour légitimer des actes ignobles et dégradants à l’endroit des défenseurs des droits humains. Ainsi, c’est l’infraction « fourre-tout » de « propagation de faux bruits et de diffamation » qui est l’arme fatale usitée pour réduire les défenseurs des droits de l’homme au silence, et anéantir toute critique contre la gestion du gouvernement ou contre le comportement de certains « intouchables ».[8]

Il sied ici de rappeler que la RDC est Etat partie à plusieurs instruments internationaux et régionaux des droits humains. Le harcèlement dont les défenseurs des droits de l’homme font l’objet de la part des services de sécurité ainsi que de la justice à cause de leur travail pourtant garanti par la Déclaration de l’Assemblée Générale des Nations Unies du 09 décembre 1998 ainsi que les crimes commis par les agents et forces de sécurité congolaises, à savoir les exécutions sommaires, les arrestations arbitraires, les détentions sans jugement, et les actes de torture et les traitements inhumains, constituent des violations des obligations de la RDC au regard du droit international relatif aux droits humains, à savoir le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ICCPR), que la RDC a ratifiée en 1976 ; la Charte Africaine des droits de l’homme et des peuples, que la RDC a ratifiée en 1987 ; et la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, que la RDC a ratifiée en 1996. Sur le plan interne, ces actions à l’encontre les défenseurs des droits humains violent aussi les droits fondamentaux établis par la Constitution, qui est entrée en vigueur le 18 février 2006.



IV. QUE CONCLURE ? APPLIQUER LA « TOLERANCE ZERO » EN CAS DE VIOLATIONS DES DROITS HUMAINS !



De plus en plus, l’on entend parler de la politique de la « Tolérance Zéro » en RDC et la population attend avec impatience voir ses effets. En effet, la tolérance zéro est une doctrine visant à punir sévèrement les délinquants à la moindre infraction à la loi. La tolérance est ainsi réduite à zéro, il n'y a aucune circonstance atténuante.

Cette théorie se base sur deux postulats : Si le responsable d'une infraction n'est pas condamné immédiatement, il est incité à récidiver ; Si les responsables d'infractions ne sont pas condamnés pour chaque infraction avec toute la sévérité que la loi autorise, ils vont progressivement dériver du petit délit au crime.

En acceptant cela, la seule façon d'empêcher la récidive et l'escalade des infractions est d'agir immédiatement à chacune d'entre elles. En condamnant immédiatement les responsables, on persuade ces derniers que toute action contre la société entraîne une réaction immédiate et le sentiment d'impunité disparaît. Plusieurs pays appliquent cette méthode depuis longtemps, et la RDC vient de la proclamer. Espérons que cette politique ne se limiterait pas en un slogan creux ou en un vœu pieux. Il est donc utile que le gouvernement congolais et ses démembrements appliquent la « tolérance zéro » dans tous le secteurs y compris celui des droits humains, en les respectant et en protégeant les défenseurs des droits humains. Sinon, l’on n’hésiterait pas à qualifier cela d’un mauvais signal pour la tolérance zéro. Tel semble être le cas avec les affaires relevées supra qui témoignent d’une volonté manifeste d’écraser les défenseurs des droits humains et les journalistes. Bien plus, devant la gravité de la violation des droits humains en RDC, plusieurs ONG de défense des droits de l’homme publient de rapports accablants mettant à nu la responsabilité du gouvernement, et par lesquels ces faits répréhensibles sont dénoncés. Pendant que l’on s’attend à la prise de mesures adéquates pour faire cesser ce régime de négation de la dignité humaine et dans la poursuite de l’action gouvernementale « tolérance zéro », le gouvernement par ses « apparatus » - au gouvernement central et/ou provincial- remettent tout en cause par la tenue de propos combien déconcertants et dénigrant à l’endroit des ONG et des défenseurs des droits humains. Un mauvais signal pour la tolérance zéro et une volonté manifeste d’écraser les défenseurs des droits humains.

À tous, nous rappelons que toute personne a la responsabilité de protéger les droits humains. Comme l’affirme la Déclaration sur les défenseurs des droits de l’homme: 

«Quiconque risque, de par sa profession ou son occupation, de porter atteinte à la dignité de la personne humaine, aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales d'autrui doit respecter ces droits et libertés et se conformer aux normes nationales ou internationales pertinentes de conduite ou d'éthique professionnelle.»

Ceux qui ont pour métier de défendre les droits humains ont certes de grandes compétences et une solide expérience, mais la défense des droits fondamentaux est accessible à tout un chacun. Nous avons tous le potentiel nécessaire pour devenir des défenseurs des droits humains. Mettons la main à la pâte pour que la tolérance zéro rime avec le respect des droits humains en RDC !



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[1] Lire le dossier de 96 pages, "'We Will Crush You': The Restriction of Political Space in the Democratic Republic of Congo" (« 'On va vous écraser' : La restriction de l'espace politique en République démocratique du Congo »), ici : http://tinyurl.com/64c6kn



[2] Depuis que l’Assemblée générale des Nations unies a adopté la Déclaration des Nations Unies sur le droit et la responsabilité des individus, groupes et organes de la société de promouvoir et protéger les droits de l’homme et les libertés fondamentales universellement reconnus (Déclaration sur les défenseurs des droits de l’homme).

[3] Certains sont avocats spécialisés dans les droits humains, journalistes, syndicalistes ou experts en matière de développement. Mais un fonctionnaire local, un policier ou une personnalité qui s’engagent publiquement en faveur du respect des droits humains sont aussi des défenseurs des droits humains.

Les défenseurs des droits humains agissent seuls ou en collaboration avec d’autres, à titre professionnel ou personnel. Pour beaucoup, la défense des droits humains s’inscrit dans le cadre d’un engagement existant; mais d’autres deviennent militants à l’occasion d’une action spécifique.



[4] Les charges retenues contre Golden Misabiko sont liées à un rapport publié le 12 juillet par l'ASADHO/Katanga au sujet de la mine d'uranium de Shinkolobwe. Selon ce rapport, des responsables civils et militaires se sont rendus complices de l'exploitation illégale de la mine de Shinkolobwe après que le gouvernement a fermé celle-ci en janvier 2004 pour des raisons ayant trait à la sûreté de l'État et à la sécurité publique. Il indique également que les autorités de la RDC n'ont pas fait le nécessaire afin de sécuriser la mine. Par ailleurs, il critique le manque de transparence à propos d'un accord passé le 26 mars entre le gouvernement et l'entreprise française AREVA, spécialisée dans l'énergie nucléaire, qui accorde à celle-ci le droit de prospecter et d'extraire de l'uranium en RDC.



[5] Cette menace arrive deux semaines après l’assassinat de Bruno Koko Chirambiza, présentateur du journal en Swahili à Radio Star (privée). Bruno, 24 ans, a été poignardé peu après minuit le 23 août. Cet homicide intervient après ceux de Didace Namujimbo (novembre 2008), de Serge Maheshe (juin 2007) et Pascal Kabungulu (juillet 2005). L’assassinat de Bruno et les menaces contre Kadi, Delphine et Joly s’inscrivent dans une détérioration rapide de l’insécurité des journalistes et des défenseurs des droits humains. Lire, l’éditorial d’Echos Grands Lacs, EURAC, « Journalistes et Défenseurs des Droits Humains: la chasse est ouverte », N° 57 – Septembre 2009

[6] Action urgente: Menaces de mort contre 4 ONG de Lubumbashi, RD Congo, Lubumbashi, le 17 Septembre 2009



[7] Le Contrôle Citoyen de la RDC, www.controlecitoyen.com

[8] Lire dans ce sens, le communiqué de Presse de l’ASADHO, N°031/2009 du 14/09/2009

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